Jean Régis PERRIN
Un désert archéologique (III) La forme ovoïde signe les limites des implantations agricoles de tradition gauloise : tel le grand domaine de Busserolles. A proximité, une route antique insoupçonnée file vers le Poitou. Au pied de l'immense camp romain de la Busserolle, des chemins et des passages d'eau inattendus sur la Vienne, sont déjà sur le territoire des Pictons. |
Après avoir
libéré un itinéraire divergent vers un
large secteur est, sur le territoire de Bezeau, la voie romaine des Coutumes ( appelons-là ainsi puisque nous n'avons aucune certitude sur sa provenance, mais probablement Limoges/Augustoritum, ni sur sa destination, mais probablement Poitiers/Lemonum), va nettement s'infléchir vers l'ouest avant de revenir à une direction vers l'ouest-nord-ouest. Nous la voyons ci-contre dans cette évolution qui vise à contourner à distance respectable la Franche-Doire et les têtes de source de quelques menus affluents de rive droite, par une courbe à l'immense rayon. Il faut bien reconnaître qu'aucune civilisation
depuis l'antique n'a été
capable de jouer avec les éléments naturels de
façon aussi élégante. C'est un argument historique
d'une grande évidence s'il en était besoin, en faveur de
la "patte du romain" sur ces voies qui nous occupent sinon sur les terroirs
qui les entourent.
Notez en contrepoint, la présence "artificielle" de la RN 147 qui a tranché brutalement dans les limites parcellaires il y a 250 ans. |
Sous fort grossissement on
discerne d'anciennes limites de parcelles, des petits chemins d'origine
incertaine ou des embryons de structures carrées,
rectangulaires ou rondes : rien qui puisse apporter un éclairage
nouveau mais qui confirme le très vieil usage de cette terre
(astérisque : détails invisibles sur les grands clichés
présentés).
Dès les temps antiques, le domaine
aurait pu être divisé en deux parties, au nord les terres
de culture et au sud, les prés de fond de part et d'autre du
ruisseau. Actuellement les deux entités sont
séparées par un long chemin courbe en contrebas d'une
terrasse de culture : la partition ne date pas d'hier.Notez également les traces du chemin antique de Busserolles à Bussière situé à gauche de l'allée actuelle. |
Busserolles, c'est
ou ce fut à la fois la ferme moderne et la structure
résidentielle, en bas du cliché, au-dessus des deux
étangs.
Du grand terroir piriforme (en forme de poire ) autrefois et depuis des temps très reculés dévolu à la culture, il reste une partie bien conservé dans le paysage. C'est un des plus vastes terroirs gallo-romains que nous connaissions. Cet espace agricole vivrier se trouvait bien évidemment associé à une grande ferme et à une villa, les deux entités se trouvant généralement contiguës et pouvant constituer une même structure bipartite (voir pages précédentes Cassano-Curtis). On notera également la présence d'un ruisseau, argument important : la présence d'un point d'eau marque depuis toujours la qualité d'un terroir agricole. |
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Et,
venant du sud et de l'embranchement des Folies, une voie de
desserte pénètre
dans la propriété agricole antique et remonte vers le
nord avant de s'interrompre,
fossilisée sur ma photo oblique du paragraphe
précédent, en léger décalage ouest de
l'allée actuelle de Busserolles.
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Ici, la villa n'était sans doute pas bâtie à
l'emplacement de la ferme actuelle: le romain, le gallo-romain nous l'avons dit, avaient
horreur de vivre dans ces lieux humides et froids de fond de vallée.
Elle aurait bien pu être établie par contre, sur ce replat en légère pente vers le sud-est - une orientation très prisée - qui domine la Gartempe à l'est et les terres de Busserolles au sud et qui se trouve aujourd'hui dans la zone d'extension de Bussière.
Aujourd'hui encore cet espace antique présumé est peut-être évoqué
par cette longue ligne courbe qui ne
demande qu'à se prolonger et à se refermer et
qui
est jalonnée par un chemin et des limites de parcelles. Un
espace que nous
surlignons en tirets rouges.
A l'intérieur de cette enceinte, hypothétique, un autre alignement courbe se remarque : des limites de propriétés qui prolongent, en légère courbe et par delà la place centrale, la rue Alexandre-Lizen qui délimite le haut du domaine, au nord. Mais, à part la situation probable de la villa, nous ne pouvons guère tirer davantage de ces constats. |
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On peut penser cependant que durant cet
épisode antique et par conséquence de la
présence d'une villa dominant le domaine,
il se forma ici précisément un vicus ( un "bourg")
autour d'un lieu de dévotion paîen qui au fil du temps, deviendra finalement chrétien . En
attendant la fondation d'une église au XIe siècle
(étoile et croix). Retenons que les dessins actuels de nos parcelles, les limites de
propriétés, les grandes lignes de la voirie de nos
villages et de nos bourgs, les grands traits d'alignement du
bâti . . . ne disparaissent jamais complétement du
paysage.
A l'archéologue de tenter de les retrouver, d'en découvrir le sens et d'en tirer profit. Entre autres choses plus ou moins signifiantes : l'arrivée à la limite sud du domaine de Busserolles du diverticule venant de la voie des Coutumes et dont la trace apparaît encore, remontant à peu de distance, l'allée actuelle du domaine. Et non loin, à droite, les anomalies pédologiques ( qui ont trait à la nature et à l'apparence des sols ) de Chez-Lemade et de Lavaud, déjà évoquées en seconde page : "Gaulois et gallo-romains". . . (petites flèches rouges). Alors et tout à la fois une tradition gauloise qui perdure et une romanité qui s'implante : l'époque gallo-romaine quoi ! |
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Une anecdote pour finir, en hommage à mon grand
père et à son livre préféré "Lectures sur l'Histoire du Limousin et de la Marche" de J. B. Perchaud, sur lequel j'ai
quasiment appris à lire. Simple évocation et un clin
d'oeil qu'il n'aurait pas désavoué.
Le lendemain, il était à Bellac chez le consul Génébrias.Nous voici dans l'année 1605. Le grand domaine de Busserolles est déjà là depuis longtemps : un soir de galerne (le vent !), en voyage vers Limoges et sa Navarre natale, le roi Henri IV s'y arrêta pour passer la nuit. Des vieillards irrévérencieux disent encore qu'on le sentit venir avant de le voir arriver. |
Laissons le grand domaine antique de Busserolles et le vicus de Bussière-Poitevine aux bons soins des archivistes et des historiens et revenons au trivium (bifurcation) des Folies.
L'ingénieur romain ne fait pas dans la
villégiature : il délaisse Busserolles dont il n'a rien
à faire
Il assume son choix de parcours vers Poitiers et plutôt que de s'allonger exagérément en contournant les zones humides par le nord, il pique à l'ouest pour aller passer à gué le ruisseau de Chez-Paulet en un endroit qu'il a choisi. Ceci fait il remonte franchement au nord pour éviter une tête de source et au niveau de la Palinière, il revient à l'ouest-nord-ouest sur une orientation qui l'amènera à distance, au Gué des Mâts sur la rivière Vienne. |
Les
images ci-dessus énoncent la solution du cheminement
antique aux prises avec l'hydrographie.
Pour comprendre, il faut mettre en oeuvre tout ce dont nous avons parlé jusque-là à propos des voies antiques de haute époque, et plus précisément celles du premier siècle de notre ère. Les arguments sont classiques : traversée des gués perpendiculairement au cours de l'eau puis perchement rapide vers la hauteur, large rayon de courbure des virages toujours moyennés entre la route directe et l'évitement des zones humides. Penser également que certaines courbes sont dues à la présence de zones d'habitat . Ces dernières sont souvent très difficile à percevoir comme on le sait, sauf circonstances météorologiques favorables sur les terrains et les cultures . Nous ajouterons des nuances à ces critères au fil de nos prospections. |
Nous n'avons pas étudié la voie des Coutumes dans la traversée des terres des Pictons (le département de la
Vienne actuellement). Cependant les images de Google
et de Geoportail (IGN) se montrent assez explicites pour
bâtir une stratégie de contrôle au sol qui ne
devrait créer ni grande surprise ni problèmes majeurs.
Les photos aériennes sont particulièrement parlantes (mais non vérifiées au sol rappelons-le ! ) lors de l'arrivée de la Voie des Coutumes sur le bourg de Nérignac puis au passage à gué de la "Grande-Blourde" au lieu dit "Le Gas" : le passage à gué en vieil occitan ( tel le Gué-de-Joubert : " Gajoubert ", mais plus au sud, vers Limoges, on trouve plus couramment le terme "le Got"). Ce court passage qui aboutit au gué des Mâts sur la Vienne, nous a semblé intéressant à détailler car riche d'enseignements . Communes de Persac et de Queaux, département de la Vienne . ![]() Autour
de la Grande-Blourde, sans que l'on n'y prenne garde et au
bénéfice sans doute d'une configuration de terrain
favorable, la voie des Coutumes se présente selon deux
larges ondulations qui représentent un véritable
cas d'école. S'y ajoute - je ne l'avais pas encore
signalé - la position du gué : un technicien romain
implante ses gués, en fonction de la configuration du terrain.
Ici, ce sera en amont d'une confluence avec le ruisseau des Champs, histoire de ne pas se retrouver en cas de fortes eaux, avec deux crues superposées à l'endroit du passage : élémentaire, ne serait-ce que pour éviter un second gué sur l'affluent ! ! Cela dit, il n'y a pas de règles intangibles dans cette histoire, mais une adaptation intelligente et raisonnée à tous les cas de figures. Dans ce domaine et aux portes de Limoges nous avons repéré deux dérivations de ruisseau toujours en place : l'une pour mieux implanter un pont rustique (les Vaseix), l'autre pour éloigner en amont une confluence gènante (l'Aurence au Mas-Jambost).
Nous faisons figurer sur la même photo, une grosse
flèche rouge (marquée par son contour), venant du sud. Elle suit la route actuelle (D 11) qui se
trouve confondue jusque-là avec la ligne de faîte absolue de ces terres
d'interfluve.
Je veux indiquer par là la possibilité d'une importante voie romaine de première époque qui aurait pu arriver ici : elle s'unirait à la voie des Coutumes pour attaquer la montée vers la Vergnaudière et le plateau de la Busserolle. Elle pourrait provenir de Limoges/Augustoritum par la "Voie Haute de l'Ouest"ou au contraire, la recoupant à la perpendiculaire venant de la voie d'Agrippa- ouest (une situation que j'évoquerai plus loin) , pour passer à l'ouest des collines de Blond et arriver ici par le "gas de Joubert" (Gajoubert). Mais ce n'est qu'une orientation de recherche. |
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Notez que sur ma première photo oblique ci-dessus, une
longue dépression très nette, ponctuée par un
arbre en boule, semble relier un angle du camp de la Busserolle à la voie tardive
figurée en jaune. Ce petit chemin de liaison est indiqué
par quelques flèches vertes. Cela amène un peu d'eau
à mon moulin quand je dis que le camp pourrait être de
création tardive et contemporain de la seconde voie.
Cette petite liaison est rappelée sur la photo verticale de l'IGN ci-dessus (flèche verte). |
Restons chez les Pictons.
L'année même où nous avons découvert le gué des Mâts il y aura bientôt 20 ans, il nous était venue la curiosité d'explorer au sol le dos de l'interfluve entre Vienne et Grande-Blourde, au sud de la ferme de la Vergnaudière : sans grand succès avouons-le, à part des routes modernes, toujours des routes modernes . . . avec quelques raccourcis intéressants cependant. Alors, récemment par opportunité, nous avons repris le problème à l'envers, attiré par les longs chemins agricoles qui figurent sur la carte IGN après Luchapt. Et nous avons roulé en voiture pendant 6 kilomètres sur des tronçons alignés de chemins parfois larges d'une vingtaine de mètres et couvert d'une courte pelouse, sans rencontrer sur la majeure partie du parcours, les nids de poule et les ornières habituelles des chemins ruraux . |
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Entre "Le Champ-de-la-Loge" et
"La-Croix-de-Mérotte" , nous avons même pu accélérer fortement sur une
pelouse rase qui
recouvrait une chaussée empierrée, plus que parfaite sur
les 500 derniers mètres.
Qui
nous expliquera la conservation
aussi exceptionnelle de probables voies antiques pratiquement intactes, bien
qu'utilisées comme chemins agricoles il y a 10 ans encore ? |
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Et
finalement nous nous sommes retrouvé par le travers de
l'Isle-Jourdain, sur des petites routes de crête,
départementales ou
communales, qui n'allaient pas tarder à rejoindre la
Départementale
11, évoquée plus haut. Et l'idée d'une voie
romaine venant de Limoges, plus directement que notre voie des
Coutumes, s'est fait jour (?).
Nous entrevoyons également que des voies du Haut-empire, sur un certain nombre de passage faciles, aient pu faire le lit à des voies plus tardives. C'est ainsi que
passant à faible distance du
gué des Mâts, nous revenons sur cette voie
tardive (flèches jaunes sur nos images) dont nous avons
déjà parlé. Elle arrive du sud-est avec une logique
utilitaire assez éloignée des usages auxquels les
militaires et leurs
successeurs civils nous avaient habitué.
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Elle va passer l'eau loin
en
aval, là où des hauts-fonds en travers de la
rivière Vienne pouvaient peut-être faciliter le passage. Un lieu qu'on appellera
"Le Port" et qui probablement, servit comme tel durant des siècles.
Et pendant des siècles, c'est le Port qui a focalisé l'intérêt des archéologues recherchant un passage d'eau antique sur la Vienne entre Limoges et Poitiers. Car l'époque avait changé, la "Paix Romaine" avait laissé la place à des temps incertains : des hordes barbares venues du nord et de l'est, semaient l'insécurité. L'Empire romain qui tenait toujours mais n'était plus capable de les repousser, tentait sans doute dans un premier temps de les assimiler. La puissance publique se montrait toujours en mesure apparemment de construire de nouvelles routes; avec des chaussées moins larges, moins épaisses, trichant sans la récuser avec la ligne tendue si le léger détour permettait d'éviter l'escalade d'une crête, la descente vertigineuse ou le décaissement d'une tranchée routière. En
regard des voies
précoces du premier siècle parfois difficiles à
repérer, ces voies tardives ont davantage orienté notre
planimétrie et notre voirie d'aujourd'hui.
Ainsi quelques-unes de nos routes et certains de nos chemins actuels nous semblent parés d'une origine antique qui mériterait d'être nuancée. |
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