Jean Régis PERRIN L' OPPIDUM DE VILLEJOUBERT (I) La plus grande fortification des Gaules. Peu de temps avant la guerre que César allait mener contre eux, les Lémovices entourèrent par une levée de terre armée de dix kilomètres, un territoire de près de 300 hectares perché entre deux rivières. C'était au dernier siècle avant notre ère, à la fin de l'Age-du-Fer. |
![]() |
Le mur secondaire qui défend la partie sommitale de
l'oppidum (repères
1) se présente
comme l'ultime ligne de défense d'une
zone englobant dans sa partie ouest, un
réduit
rectangulaire (repère 2) que l'on imagine
volontiers
comme un habitat
aristocratique (repère 3).
Ce mur n'était véritablement connu au sol que dans sa partie centrale (repère 1a) où ses restes forment encore un talus émoussé. Ailleurs, sa structure entièrement nivelée, n'avait jamais jusque là été localisée avec précision. Le Mur
Les murs de fortification gaulois
étaient
constitués d'un fort assemblage de pierres sans mortier de
liaison, élevé avec un fruit de quelques
degrés
vers l'intérieur. La face visible laissait
apparaître en nappes successives, affleurant
le parement, la tranche
de troncs d'arbres. A l'arrière, les troncs
étaient pris dans une masse de terre fortement
damée. Pour une meilleure cohésion de l'ensemble,
les
troncs issus du mur étaient recoupés
transversalement par
d'autres, assujettis aux premiers par de longs clous de fer. La
terre de remplissage compactée et
bloquée dans sa masse restait stable pour
quelques dizaines d'années et tout en étant
étroitement solidaire du mur, n'exerçait sur lui
aucune
poussée. Dans ce premier temps,
l'élévation de la
fortification pouvait être considérable.
|
Sur le site de Villejoubert, de
par leur énorme volume et
leur position à l'aplomb des ruptures de pente, certaines
lignes de fortifications gauloises
ont largement résisté à 20
siècles d'érosion. Mais leur présence
est
généralement masquée à
l'observateur aérien par le couvert forestier
dont elles marquent les lisières.
|
Ailleurs,
des éboulis anciens
ont subi des arasements d'autant plus sévères que
les terres
environnantes présentaient un intérêt
agricole. Et c'est ainsi que
selon l'alea
climatique du moment -
sécheresse sévère
mais non excessive - le murus gallicus
de La Clautre est souvent trahi sur les labours et les terres préparées, par
deux
lignes
parallèles plus arides que l'environnement
immédiat :
sans doute deux lignes d'éboulis
drainants qui entraînent le
dépérissement plus rapide de l'herbe en période de sécheresse (couleur
jaune-paillasson). Nous argumentons par le croquis ci-dessous, une explication plausible du phénomène : au bout de quelques années, l'armature de troncs d'arbres encloués est pourrie et s'affaisse; la poussée des terres désormais non contenue, s'exercerait prioritairement sur la partie médiane du massif qui serait projetée en avant; le couronnement, moins sollicité s'affaissant verticalement. Il est probable que le grand mur périphérique de l'oppidum présente une structure analogue mais sans doute plus volumineuse. Cela dit sans ignorer qu'un éclairage définitif ne peut venir que de la fouille de l'édifice. |
![]() |
Concernant ce type de fortification, le murus
gallicus,
on doit préciser qu'il existe, réparties
inégalement dans les contrées d'Europe et
prenant
leur origine aux différentes époques de l'Age du
fer,
remontant parfois jusqu'à l'Age du Bronze voire au
Néolithique final . . . des fortifications faisant
appel
d'une façon générique à
cette technique de la "terre armée" mais dans des formes
très variables.
L'oppidum
du Puy-de-Gaudy, près de Guéret (Creuse)
présente
dans ses remparts de pierre, cas singulier en Limousin mais
à
l'instar d'autres sites gaulois en Europe, des parties
vitrifiées : on n'a pas encore trouvé
d'explication
valable à l'anomalie de ces "murs de verre".
|
- S'agissant de la surface couverte par le cliché vertical on essaie d'avoir un recoupement de 1/3 d'un cliché à l'autre. Le même recouvrement est observé entre les bandes. Cette précaution permet de n'utiliser dans la mosaïque que la partie centrale de chaque photo, proche du nadir et moins déformée que les marges par la perspective conique. Néanmoins, la mosaïque n'est qu'un compromis figuratif et n'a pas la rigueur des "orthophotoplans" publiés sur le net et qui servent de base à la carte topographique. - En archéologie aérienne, les clichés (sous forme de diapositives) s'observaient à la loupe, binoculaire si possible. On voit bien tout l'intérêt que présente maintenant la numérisation rapide des originaux et leur examen sur écran avec toutes les possibilités de varier les angles d'approche et de "magnifier" les détails intéressants En laboratoire photographique classique, on approchait de tels résultats par des manipulations longues et difficiles: agrandissements, solarisations, réduction aux contours et superpositions, équidensités colorées ... |
En
conséquence de quoi, au sein des
enclos quadrangulaires fossoyés,
structures d'habitat communautaire qui
abritaient
une ou plusieurs huttes bâties en matériaux
éphémères, on
a parfois la chance de discerner les trous
des poteaux qui servaient d'ossature à ces
édifices.
D'autres signes ponctuels, diversement, peu ou pas organisés
nous posent encore des problèmes
d'interprétation.
L'ensemble de ces indices occupent
généralement de
vastes zones et reposent sur des sols striés et
"tavelés",
signes évidents d'une forte pression humaine et/ou animale.
Nous avons déjà montré sur
la page "gaulois et gallo-romains",
des fonds de cabane ovalaires dans et autour d'une structure partielle
d'enclos carré. Le lieu de cette découverte est
proche de
Villejoubert, sur la commune de Champnétry.
|
Observez
attentivement à la limite gauche du cliché ci-dessous : elle est lisible sans
traitement informatique mais la
reproduction en hypercontraste et circonscrite en
rouge,
permet de mieux
appréhender une zone d'hortillons (petits jardins: "les
Petits
Horts", "l'Hort-du-Puy", "les Horts"...) séparés
par de
petites voies de 2 à 3 mètres de large.
La création de ces hortillons nous renvoie à une date indéterminée : derniers temps du statut gaulois de l'oppidum ? Apport de l'occupation romaine ? Ou structures médiévales issues de la tutelle des moines de l'Artige, dont le prieuré est tout proche. Il est vrai que nous sommes bien seul devant ces petites structures agricoles tirées au cordeau, dont le style et le rythme nous paraissent aussi peu gaulois que possible. Nous n'en avons trouvé aucune trace dans la littérature archéologique. On ne se laissera pas abuser par la qualité graphique du document ci-dessus. Il s'agit du titre d'un traité d'horticulture médiévale ! Loin de
là, nous avons découvert un
jour, deux vastes surfaces de ces hortus
près de Magnac-Laval puis, au
long de voies romaines, nous avons
repéré d'autres surfaces agricoles moins
organisées mais toujours dans la
proximité de grosses fermes (ou
villas) gallo-romaines dont les emplacements
terrassés en
esplanade, n'ont jamais encore semble-t-il, attiré l'attention de l'archéologie de terrain.
|
Nous soulignons dans le paragraphe précédent, le qualificatif de gallo-romaines pour distinguer ces habitats aux structures sans doute assez frustes, entourées de leurs cultures vivrières, de la villa romaine bâtie à chaux , à sable et mortier de tuileau, avec ses vastes équipements somptuaires. Les vestiges qui témoignent de l'ancienne magnificence de ces villas romaines, peu nombreuses en Limousin, sont généralement saisis ponctuellement dans une infinie solitude. Il est en effet regrettable que ces traces soient peu marquées sur les rares labours. Cependant, les souches de murs présentent parfois des effets drainants qui se remarquent lors de la levée des semis en période de sècheresse. L'effet des circonstances météorologiques est primordial. Il faudrait en particulier s'attendre à trouver dans le voisinage de cette zone de cultures de Villejoubert (parcellaire organisé ou non), le tertre bien aplani qui porterait notre villa rustique élevée en matériaux périssables et qui peut se signaler parfois par une simple jonchée de tuiles à rebord au flanc d'un vieux chemin. Le riche gaulois tentait semble-t-il d'imiter le mode de construction du conquérant en commençant par le plus visible : le toit de sa demeure. Bien souvent hélas, une structure moderne: grosse ferme, village ou château , a occupé l'esplanade et nous prive ainsi de toute lecture possible des traces des structures qui l'on précédé. Les linéaments repérés par des flèches, peuvent être des fossés comblés, des chemins ou des cheminements protohistoriques ou antiques, ou tout simplement anciens. Certains figurent à l'ancien cadastre, ce qui ne prouve strictement rien quant à leur origine. Cependant et au fur et à mesure que nous avançons dans une certaine idée de l'organisation originelle de ce terroir, nous entrevoyons la possibilité d'éliminer progressivement et très prudemment, les cheminements disparus récents ou plus anciens dont les traces ne cadrent pas avec un schéma protohistorique qui prend corps. A l'extrême droite du cliché deux traces divergent vers l'ouest. Elles proviennent d'une tête de source non loin de l'extrémité Est de l'oppidum : nous les identifions plus facilement comme d'anciens aqueducs que comme des chemins anciens. Cela suggérerait la présence d'une structure d'habitat vers le bas de la parcelle en forme de botte, au sud du village de Villejoubert. Non loin de là, nous allons assez vite identifier un accès, une porte fortifiée : la porte des Sagnettes. |
|
Routes
modernes . . . Au centre du cliché, à droite du mur de barrage de l'oppidum, la route Départementale 115 actuelle de Bujaleuf à St Léonard de Noblat barre le cliché. On remarque au centre, immédiatement à droite du mur de barrage, en léger décalage de la route, la trace sombre et bien calibrée d'un délaissé ancien. Les
deux tracés utilisent la
même brèche percée au travers du murus
gallicus.
Il s'agit là d'itinéraires modernes qui ont
nécessité une
démolition ponctuelle, directe et sans précaution
spéciale d'un mur de défense qui n'était
plus perçu comme tel depuis des temps immémoriaux. Selon nous, aucun de ces
itinéraires, aussi bien l'ancien que l'actuel, n'ont
de chance
d'être d'origine protohistorique ou antique .
De nouveaux travaux d'élargissement du passage sont connus au siècle dernier en ce qu'ils ont attiré l'attention de notables avertis qui ont découvert à cette occasion, des "pointes de flèches" dans les déblais. Il s'agissait en fait des longs clous subsistant des entrecroisements de troncs d'arbres qui armaient la terre des fortifications gauloises . Et de surcroît, plus loin, vers le milieu de l'oppidum, le même itinéraire de crête actuel va à nouveau perforer un nouveau mur de barrage gaulois découvert en sous-bois et désigné sous le nom de "petit-rempart" par les archéologues qui ont relevé son emplacement et fouillé sa structure. Mais l'étude du monument n'a donné lieu à aucune réflexion quant à sa place dans le système défensif de l'oppidum. Nous aurons l'occasion d'y revenir. et cheminements gaulois ou antiques
A l'extrémité orientale de l'oppidum, perpendiculairement au
délaissé de l'ancienne D 115 et à quelques
mètres seulement en contrebas du mur de barrage, on note une
zone
humide. Des
chenaux
- nous le vérifierons plus loin - émanent de la ferme récemment
disparue des Sagnettes. Ces très anciens fossés sont actuellement
réalimentés en eau par le réseau fossile de l'ancienne D 115 depuis
longtemps délaissée. Ces fossés de l'ancienne route
collectent l'eau qui
vient par le jeu de la pente, envahir les terrassements
gaulois et trahir ainsi leur existence :
voilà un
détail
qui s'avèrera d'une grande importance
archéologique pour
l'interprétation des indices que nous relèverons
lors de
prochains vols.
D'autant que si vous étiez passé sur la route à la fin des années 1980, vous n'auriez pas manqué de remarquer un ancien abreuvoir ou lavoir de racines fourragères qui fut un jour creusé sur cette trace, au-delà de la route, par l'exploitant agricole pour profiter de cet apport d'eau pour le moins sporadique. Toujours sur notre cliché ci-dessus, au centre droit et en haut, une large trace érodée prolonge une haie courbe et va se confondre avec la lisière d'un bois. Elle cache un ancien chemin joignant deux gués (un sur chaque rivière). Son environnement immédiat, nous y reviendrons, comprendra un enclos rectangulaire pratiquement accolé. Proche du lieu-dit actuel "la Barrière", on remarque des zones d'habitat qui prendront corps sur les photos d'une prochaine page, des enclos avec "galerie de façade" en vis à vis, de part et d'autre d'une petite dépression. Ce cheminement est établi hors fortification au fond d'une légère ensellure, sur la partie la plus étroite et la moins élevée de l'oppidum : c'est une limite de communes calquée sur une limite de paroisse. Son origine se perd sans doute dans la nuit des temps mais on peut être assuré que ce passage protohistorique était encore utilisé dans l'antiquité tardive, au Moyen-Age et plus tard encore. Enfin,
limitée à l'est par le mur de barrage de
l'oppidum, qui passe près de l'ancienne
ferme des Sagnettes, une parcelle ne demande qu'à
être
qualifiée de paracirculaire si on veut bien nous accorder
qu'elle ait pu, dans les temps très anciens qui nous
occupent, s'étendre au nord et
au-delà de la route
départementale actuelle; elle est signalée au sol
par une
pancarte: "Le
Camp de César". Elle n'a pas particulièrement
attiré semble-t-il l'attention
des archéologues de terrain qui n'y ont observé
aucun mobilier ancien semble-t-il. Pourtant son apparence incite
à penser à un
fortin, un bastion, un point de défense
appuyé sur une
partie
de la fortification, la moins bien naturellement
défendue.
Un inventaire archéologique reste
peut-être à faire.
Pour ne pas alourdir exagérément le
commentaire et anticiper sur la suite de la description, un
certain nombre d'indices sont simplement signalés par des
flêches: cheminements, fossés, zones
usées,
érodées ou au contraire comblées
naturellement,
remblayées. |
![]() |
![]() |
En 1984 , il nous
avait semblé intéressant de ne pas ignorer
certaines terres
proches de la rive droite de la Maulde qui nous semblaient
recéler quelques anomalies mais à
l'époque,
nous n'en avons fait état que partiellement. Ce vaste
versant
exposé
au sud montre en effet de vastes zones dégagées
dévolues à la culture qui laissent la place
à la
forêt feuillue lorsque survient l'abrupt de la
rivière et
des ruisseaux.
Nous ne reviendrons pas sur la ferme de l'Artige dont la forme ne déroge pas à ce que nous connaissons maintenant des enclos gaulois.
Un éperon barré
Observons plutôt la petite terre de culture de formes arrondies, qui s'avance au-dessus d'un méandre de la Maulde un peu en amont du barrage de Villejoubert dont on aperçoit en bordure du cliché, la culée de rive droite : c'est un isolat face au ravin profond de la rivière, protégé par deux ruisseaux sur ses faces latérales. Un isthme fortement rétréci protège cette zone de terrain et on peut penser que la courte ligne d'arbres interrompue en son milieu qui barre l'avancée, cache les restes d'un dispositif de défense. La photo aérienne ne permet pas de savoir si la périphérie de l'enclos a reçu un supplément de fortification. C'est un éperon barré, une structure dont les archéologues font remonter l'usage si ma mémoire est bonne, au premier Age du Fer. Nous complétons notre description par l'observation d'une forme géométrique régulière que dessine une discordance d'aspect du sol juste en arrière de l'entrée . Nous savons maintenant, l'expérience aidant, que cette anomalie - dont nous ignorons autant la raison humaine que la cause physique - n'est pas rare sur les sols qui portent des traces d'habitats gaulois: Rancon, Bussière-Poitevine ...
Une villa ?
Enfin,
à l'extrème droite du cliché et
également perché sur un replat au-dessus de la
rivière, on devine un enclos
grossièrement rectangulaire bordé sur sa face EST
par de possibles
constructions en dur : une villa peut-être ou en tout cas une
structure différente des habitats
que nous
avons vus jusqu'ici .
On observera sur le même cliché que deux étroits cheminements partant du haut de l'image (voir carte IGN et la suite de notre exposé) aboutissent, l'un à l'entrée de l'éperon barré dont nous venons de parler, l'autre à la possible villa. Et on fera la distinction entre les chemins anciens (voire protohistoriques ou antiques) qui s'inscrivent en teinte vert-sombre sur les cultures éprouvées par la sécheresse et les chemins actuels , plus clairs que les champs environnants. Les premiers, surcreusés par un usage séculaire, se seraient ensuite comblés naturellement lors de l'abandon des sites voire de la désertification probable des campagnes sous les coups de boutoir des invasions et de l'insécurité. Le matériau de remplissage plus varié et plus fragmenté que le sol encaissant, serait devenu grâce à sa porosité, un réservoir et un répartiteur d'eau performants capables en période sèche, d'entretenir sur leur tracé la vie de la végétation herbacée plus longtemps qu'alentour. Les seconds, récents, créés uniquement par l'usage et que signale une teinte plus claire sont trahis par l'aridité du sol nu, damé, compacté et érodé en surface par le passage répété des attelages et des engins agricoles. On observera aux abords de la villa que la voie de desserte est beaucoup plus large et structurée qu'en amont . Sans que celà devienne un trouble obsessionnel - mais ceux qui voudront me suivre devront s'y faire - observons encore que les cheminements antiques sont souvent jalonnés d'arbres ou d'arbustes clairsemés conservés jusque-là par l'agriculture traditionnelle. |
Année
1984 : premier bilan
J'eus
la naïveté de penser que ce n'était pas
si mal pour un début.
1985
ne fut pas une année favorable pour la recherche
aérienne. Mais je n'en poursuivis pas moins
mes vols sur Villejoubert. Et sans attendre, j'avais
rendu publics mes résultats de 1984
en
remettant une copie
de ma mosaïque photographique à la
Direction des Antiquités Historiques du Limousin.
Ainsi, les archéologues ayant déjà travaillé sur le site et bons connaisseurs du terrain, pouvaient dès 1986 et en attendant mieux, bénéficier de documents nouveaux et d'un nouvel angle d'approche pour la compréhension d'un site phare de notre lointaine histoire limousine. |
![]() |
![]() |
![]() |
Haut
de page |
![]() |
Page précédente | ![]() |
![]() |
Page suivante |